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IMMOBILIER ET DROIT
20 février 2015

Marchés publics de travaux

Le régime juridique des marchés publics

 

1.      Caractère forfaitaire du prix

Le régime des marchés publics ne diffère pas fondamentalement de celui des marchés privés notamment en ce qui concerne le principe du caractère forfaitaire du marché lorsque ce mode de rémunération a été convenu entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur. Ce choix implique, pour le maître de l'ouvrage, de respecter les conditions de l'article 1793 du Code civil, notamment en ce qui concerne le critère du «plan arrêté et convenu».

Il faut toutefois signaler que la rémunération en régie [1] est plus fréquente dans les marchés publics. L'entrepreneur pouvant être rémunéré, par exemple, en fonction des mètres linéaires de bordure de trottoir qui auront été remplacés, ou des surfaces de revêtement routier réparées. Les clauses contractuelles prévoient en cette hypothèse, directement ou par renvoi aux dispositions du CCAG Travaux [2], les modalités du constat contradictoire des quantités effectivement mises en œuvre.

2.      Les travaux supplémentaires

a)      les travaux « utiles »

Le régime des travaux dits « utiles » est identique à celui des marchés privés. Il suppose une autorisation écrite du maître de l'ouvrage.

b)      Les travaux « indispensables »

-        Principe

Il s'agit d'un régime spécifique du droit des marchés publics de travaux. Ces travaux doivent être payés, y compris dans le cadre d'un marché à forfait, même en l'absence d'ordre de service, ou de décision de poursuivre. En outre, il n'est pas nécessaire de rapporter la preuve d'un bouleversement de l'économie du marché. L'entrepreneur doit néanmoins rapporter la preuve du caractère indispensable de ces travaux.

-        Incidence de la notion de « montant contractuel »

Si les travaux « indispensables » sont indemnisables, dans les conditions ci-dessus, en revanche les quantités supplémentaires de produits ne sont pas indemnisables tant que le montant contractuel des travaux n'est pas atteint.

-        Répartition des responsabilités

Il s'agit, par définition, de travaux non prévus au CCTP [3] et qui relèvent, a priori, d'une insuffisance de conception. Cette situation concerne par conséquent la maîtrise d'œuvre de conception, ce qui induit la possibilité d'un partage de responsabilité entre la maîtrise d'œuvre et l'entrepreneur au titre de son obligation de conseil. En revanche, la connaissance par l'entreprise du caractère indispensable de certains travaux, avant la remise de son offre, lui interdit de demander un supplément de prix. Comme précisé ci-dessus, la preuve du caractère indispensable incombe à l'entrepreneur.

-        Les travaux sur existants

L'entrepreneur doit exercer une vigilance accrue lorsque les travaux à réaliser portent sur des ouvrages anciens (rénovation lourde par exemple). Généralement les travaux à réaliser sont précédés de travaux préparatoires concrétisés par la mise en œuvre d'un curage préalable, les ouvrages concernés pouvant comporter de l'amiante. La question sera de déterminer si la présence d'amiante pouvait être constatée par l'entrepreneur. Dans l'affirmative le maître de l'ouvrage sera fondé à s'opposer au paiement de travaux supplémentaires au titre du  désamiantage par exemple, ce qui n'est pas sans conséquences en termes de coût. L'entrepreneur doit par conséquent :

  • être vigilant quant aux modalités de la      visite préalable qui peut prévoir ou non la possibilité de sondages      destructifs,
  • tenir compte de ses constatations dans la      rédaction de sa note méthodologique.

3.      Les sujétions imprévues

a)      Le principe

L'entrepreneur peut également obtenir une indemnité lorsqu'il rencontre des difficultés matérielles indécelables au moment de la signature du contrat. Le travail à réaliser est bien celui qui était prévu, mais à des conditions techniques plus onéreuses en termes de matériaux, techniques, de personnel etc.

L'appréciation de la notion de sujétions imprévues est effectuée, au cas par cas, la jurisprudence faisant une distinction entre les travaux intéressants le sous-sol terrestre et ceux intéressant le sous-sol fluvial ou maritime.

Ainsi dans un arrêt du 30 juillet 2003, le conseil d'État définit la notion de sujétions techniques imprévues la manière suivante : « difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties. » À ces critères particulièrement limitatifs s'ajoute, en ce qui concerne le marché à forfait, le critère du bouleversement de l'économie générale du contrat, bouleversement dont la preuve doit être rapportée par l'entrepreneur.

L'entrepreneur sera particulièrement vigilant quant aux informations figurant dans le dossier de consultation des entreprises, les informations fournies par le maître de l'ouvrage pouvant avoir pour effet de lui interdire le recours à la théorie des sujétions imprévues.

b)      Le rôle de la note méthodologique

L'entrepreneur a le plus grand intérêt à décrire, dans sa note méthodologique, les techniques qu'il envisage de mettre en œuvre afin de pouvoir effectuer la comparaison entre ce qu'il a prévu (DGPF[4]) et ce qu'il est contraint de mettre en œuvre pour satisfaire à son obligation de résultat. En effet, l'indemnisation de l'entrepreneur va dépendre de sa capacité à se prémunir du risque, concrétisé par l'existence de difficultés techniques plus importantes que celles qu'il avait envisagé au stade du dépôt de son offre. Il aura la charge de rapporter la preuve qu'il n'avait pas la possibilité de se prémunir de ces difficultés en procédant, par exemple à des contrôles supplémentaires en amont. En cours d'exécution il prendra toujours la précaution de faire établir un constat contradictoire selon les modalités prévues par le CCAG Travaux [5].

Cette possibilité pour l'entrepreneur d'obtenir une compensation financière en présence de ce type d'événement, est spécifique au droit public alors qu'elle est exclue en droit privé. En effet le juge judiciaire refuse de modifier le contrat sauf clause d'imprévision dont la présence dans les contrats de droit privé est exceptionnelle, au moins en ce qui concerne les contrats nationaux.

 4) L'imprévision

Il s'agit de compenser, par le versement d'une indemnité, les conséquences des difficultés relevant de l'existence de circonstances économiques extérieures aux parties au contrat. Ce mécanisme jurisprudentiel permet d'indemniser, pour partie et pour une période déterminée, le cocontractant des conséquences d'un accroissement significatif et anormal des charges qu'il doit supporter.

La mise en œuvre de cette notion suppose également de rapporter la preuve d'un bouleversement de l'économie du contrat, dans des proportions qui se situent entre 5 et 10 %.

5.      Le « fait du prince »

Il s'agit d'apprécier les conséquences d'une modification de l'environnement légal des modalités d'exécution du contrat dont l'origine incombe au cocontractant de l'entrepreneur.

6.      La responsabilité contractuelle de la personne publique

En dehors des situations évoquées ci-dessus, lesquelles relèvent de la notion d'aléas, le maître de l'ouvrage peut être condamné à indemniser l'entrepreneur lorsque sa faute est à l'origine du préjudice. Il peut s'agir de l'inexécution d'une obligation qui incombe à la personne publique comme par exemple le délai dans lequel le maître de l'ouvrage doit donner un accord, faire retour de documents, ou réaliser un ouvrage préalable dont la charge lui incombe.

7.      Les retards d'exécution

a)      Le principe

Jusqu'à une époque récente, le maître de l'ouvrage était fréquemment condamné à supporter les conséquences d'un retard qui avait généré un préjudice dans le patrimoine de l'entrepreneur alors qu'en réalité la faute incombait à un autre entrepreneur. Cette jurisprudence est aujourd'hui obsolète puisque le conseil d'État a entendu revaloriser la notion de faute contractuelle imputable au maître d'ouvrage. Ainsi l'entrepreneur qui entend faire valoir un préjudice en raison d'une faute commise par un autre constructeur devra désormais rechercher la responsabilité des constructeurs sont le fondement de la faute, en l'espèce quasi délictuelle, les constructeurs étant pas lié par un contrat sauf lorsqu'ils sont constitués en groupement momentané d'entreprise.

b)      L'effet relatif du contrat

Il faut toutefois souligner que le conseil d'État, contrairement à la jurisprudence de la Cour de Cassation a posé une règle qui interdit aux tiers, à un contrat administratif, de se prévaloir des stipulations de ce contrat, à l'exception des clauses réglementaires. Cette jurisprudence, récente[6], qui entend mettre l'accent sur le mécanisme de l'imputation de la faute contractuelle, c'est-à-dire de la relation causalité entre le préjudice et le dommage, constitue par conséquent un obstacle à ce qu'un constructeur puisse se prévaloir, dans le cadre d'un contentieux relevant de la compétence des juridictions administratives, de l'inexécution des obligations contractuelles qui pèsent sur un autre constructeur, pour obtenir la condamnation de ce constructeur à l'indemniser du préjudice subi.

Faute de pouvoir se prévaloir des dispositions du contrat, l'action doit être fondée sur la responsabilité délictuelle, c'est-à-dire sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Ce fondement juridique est celui à partir duquel la juridiction administrative procède à la répartition des responsabilités entre les constructeurs dans le contexte d'une action en responsabilité décennale, sous réserve que les constructeurs aient formalisé, dans le cadre du contentieux, des appels en garantie. Rappelons que dans ce cas de figure le contentieux met en présence une personne publique, maître de l'ouvrage et les différents constructeurs.

Dans l'hypothèse d'une action en responsabilité de droit commun qui trouve son origine dans les modalités d'exécution des marchés, la jurisprudence ci-dessus évoquée implique de s'interroger sur la compétence juridictionnelle s'agissant d'une action en responsabilité, en l'espèce quasi délictuelle, puisqu'elle intéresse  des relations entre des personnes privées qui ne sont pas liées par un contrat mais ont néanmoins participé à un travail public.

Un élément de réponse est apporté par la décision rendue par le conseil d'État le 5 juin 2013. Par cette décision, le conseil d'État précise, qu'à partir du moment où la responsabilité de la personne publique n'est pas susceptible d'être mobilisée, le constructeur, victime d'une faute contractuelle, commise par un autre participant au travail public, doit saisir la juridiction de l'ordre judiciaire (tribunal de grande instance ou tribunal de commerce) à l'instar du contentieux entre les membres d'un groupement momentané d'entreprises.

Dans un domaine différent qui est celui de l'occupation domaniale, le tribunal des conflits a, par une décision du 14 mai 2012, n° 3836[7], jugé que l'action introduite par un tiers à l'encontre d'une personne privée, par ailleurs contractuellement lié avec une personne publique, relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Cette analyse me conduit par conséquent à opter pour la compétence de l'ordre judiciaire permettant de faire valoir la faute quasi délictuelle, assimilable à la faute contractuelle conformément à la jurisprudence de la Cour de Cassation, objet d'un arrêt de l'assemblée plénière du 6 octobre 2006[8].

8.      Conclusion provisoire

L'analyse du régime du marché à forfait, qu'il relève du droit privé ou du droit public, fait ressortir trois éléments essentiels qui méritent d'être soulignés afin de créer les conditions favorables à une exécution sereine du contrat.

Il s'agit :

  • objet du contrat : cette définition incombe      au maître de l'ouvrage,
  • traitement des difficultés : une démarche en      amont favorise l'émergence de solutions dans le climat de confiance      résultant de la phase « commerciale » et avant l'accumulation des «      non-dits »,
  • preuve des faits : la « bonne » preuve est celle      qui présente un degré d'objectivité suffisant, condition de sa prise en      considération par le juge en cas de contentieux, ce qui permettra de      l'éviter en ouvrant la possibilité d'un règlement amiable précédé par      exemple de la saisine du comité consultatif de règlement amiable des litiges [9].      La procédure administrative permet désormais de recourir à la technique de      la médiation, mode alternatif de règlement des litiges. La médiation peut      précéder la saisine du comité consultatif, elle sera plus pertinente lorsque      la décision du comité sera connue des parties.

Paris, le 16 février 2015

 

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